CHAPITRE XXV
Yan se tourna en gémissant.
Il était de retour dans sa cellule. Les barrés d’acier composant sa couchette l’empêchaient pratiquement de dormir.
Il émergeait d’un rêve mettant en scène Leia, peut-être le seul point positif des trois dernières semaines. L’éclairage rougeâtre de la cellule lui piquait les yeux à travers les paupières.
Il tendit l’oreille ; dans la coursive des gens approchaient.
Le panneau de métal se souleva sans un bruit.
Sur le qui-vive, il se leva. Son corps lui faisait mal ; il avait l’esprit encore embrumé par les drogues.
Il se figea.
Solo n’avait aucune idée de ce qui se passait, mais il était certain de ne pas apprécier la tournure des événements.
Un commando en armure se tenait dans l’encadrement de la porte, près de Qwi Xux. Elle semblait hagarde ; Yan ne put retenir un large sourire. Il espérait lui avoir fait perdre le sommeil en lui « révélant » l’utilisation dévastatrice de ses inventions. Elle pouvait peut-être s’abuser elle-même, mais il n’était pas dupe.
– Vous êtes venu discuter morale, doc ? Suis-je censé jouer le rôle de votre conscience ?
La scientifique croisa les bras :
– L’amirale Daala m’a accordé la permission de vous interroger à nouveau, dit-elle froidement.
Son langage corporel sonnait faux.
Elle se tourna vers le garde :
– Voulez-vous m’accompagner dans la cellule pour l’interrogatoire, lieutenant ? J’ai peur que le prisonnier ne refuse de coopérer.
– Oui, docteur Xux.
Le soldat la suivit. Il ferma le panneau derrière lui.
Alors qu’il lui tournait le dos, Qwi sortit un blaster de sa poche et tira. Des éclairs bleus parcoururent le corps de l’homme, qui s’écroula.
Yan bondit :
– Que faites-vous ?
La scientifique s’agenouilla près de sa victime inconsciente. Elle lui ôta son armure.
– L’amirale Daala mobilise la flotte demain, dit-elle, lui tendant les plaques blanches. Elle a l’intention d’utiliser le Broyeur de Soleil et ses quatre destroyers pour détruire la Nouvelle République. Votre ami Kyp Durron sera exécuté cet après-midi. (Elle leva un sourcil.) D’après vous, est-ce suffisant pour filer tant que nous le pouvons encore ?
Yan n’y comprenait plus rien.
Pour l’heure, il songeait seulement à revoir Kyp et Chewbacca, et à retourner sur Coruscant pour retrouver Leia et les jumeaux.
– Je n’ai pas de rendez-vous que je ne puisse annuler, répondit-il.
– Bien. Des questions ?
Le Corellien grimaça en passant l’armure impériale :
– Non, j’ai l’habitude…
Kyp sentait une différence dans l’air – ses efforts étaient enfin couronnés de succès.
Projetant, ses pensées dans la toile mentale de la Force, Kyp parvint à sentir la présence des gardes dans la coursive. Leur comportement n’était plus le même. Dans tout le navire, il détectait des signes d’activité, de tension, d’anxiété.
Quelque chose allait se passer.
Il avait appris une vérité déconcertante. Les émotions du garde en faction la nuit précédente étaient on ne peut plus claires : Kyp Durron ne faisait pas partie de l’avenir de ces gens. Un jeune homme venu des mines de Kessel ne pouvait leur fournir aucune information intéressante.
Ils n’avaient pas de raison de le garder en vie.
L’amirale Daala avait prévu son exécution. Désormais, ses heures étaient comptées Ses lèvres se retroussèrent en une grimace de rage. Toute sa vie, l’Empire avait essayé de le détruire ; à présent, il allait réussir.
Quand il entendit des bruits devant sa porte, il capta le malaise de ses geôliers.
Il n’avait aucun moyen de se défendre !
Désespéré, Kyp colla son oreille contre le métal froid, tentant de mieux entendre la conversation.
–… prévu de l’exécuter cet après-midi.
–… le savons. Nous devons… J’ai l’autorisation de… ici.
–… irrégulier. Pourquoi… voulez-vous ?
– Test… armement… cible… nouveau concept… vital pour la défense de la flotte… tout de suite !
–… besoin… spécifique… seulement une autorisation générale.
– Non… suffit !
Le ton monta. Durron ne parvint plus à comprendre. Il essayait de dissocier trois voix parlant en même temps.
Kyp se prépara à bondir dès que la porte s’ouvrirait. Il savait qu’il serait abattu avant de faire dix pas, mais son calvaire serait terminé. Choisir sa mort était le droit de chacun.
–… vérifier avec… d’abord. Attendez…
Le jeune homme entendit un tir de laser et le bruit mat d’un corps qui tombe.
L’instant d’après, le panneau de métal se souleva.
Un cadavre bascula dans sa cellule avec fracas.
Un autre garde se découpa dans l’encadrement de la porte, le blaster encore fumant. Près de lui une extraterrestre au visage délicat surgit.
– J’espère que cette autorisation te suffisait, railla l’homme, ôtant son casque.
– Yan ! s’écria Kyp.
– Je déteste vraiment la paperasse…, fit Solo, désignant le mort du bout du pied. Kyp, tu crois que tu rentreras dans cet uniforme ?
– Non, je n’en veux pas un vieux, ni un lent ! s’exclama Qwi, furieuse contre le gardien des Wookies.
Derrière les fentes de son casque, Yan regardait l’Omwati jouer le rôle de la scientifique bornée et impatiente.
L’homme grassouillet jeta un coup d’œil sur les esclaves poilus. Il ne semblait pas plus intimidé que ça, comme s’il avait l’habitude d’être pris à partie par les savants.
Son visage rappelait l’argile.
Solo s’impatienta ; il transpirait dans l’armure trop étroite. Le casque était équipé de filtres, mais l’uniforme gardait l’odeur de son ancien propriétaire. Or, les impériaux du Complexe de la Gueule vivaient pratiquement dans leur armure. Ils désinfectaient l’intérieur moins souvent qu’ils ne polissaient l’extérieur.
Le gardien haussa les épaules, comme si le problème de Qwi ne le concernait pas :
– Ces Wookies travaillent dur depuis dix ans.
Qu’attendez-vous de plus ? Ils sont tous lents et inutiles.
Les compatriotes de Chewie qui se trouvaient dans le hangar étaient devenus de pauvres esclaves à la fourrure terne et aux épaules tombantes.
– Je ne veux pas entendre d’excuses, rétorqua Qwi. Nous avons reçu ordre de terminer de nombreux travaux avant le départ de la flotte, et j’ai besoin d’un Wookie qui ait encore un peu d’énergie. Donnez-moi le nouveau prisonnier. Il fera parfaitement l’affaire.
– Ce n’est pas une bonne idée, répondit l’autre. Il est sauvage ; vous serez obligée de tout vérifier derrière lui. Il n’est pas fiable. Un sabotage serait à redouter…
– Je me moque qu’il soit sauvage ! Au moins, il ne s’endormira pas à la tâche.
A l’autre bout du hangar, un grand Wookie apparut entre deux intercepteurs.
Yan dût se retenir d’ôter son casque pour hurler à son ami de venir les rejoindre. Chewbacca semblait à deux doigts de céder à une rage suicidaire. A mains nues, il était capable de démantibuler cinq ou six chasseurs Tie avant d’être abattu.
Le gardien réfléchit.
– J’ai une autorisation signée de l’amirale Daala, insista Xux, munie d’un feuillet portant le sceau de l’amirauté.
Solo jeta un coup d’œil aux autres gardes. Cette fois, utiliser son « autorisation universelle » était hors de question.
Près de Qwi Xux, Kyp – dans la tenue du garde le plus petit – demeurait immobile. Yan savait que le gosse devait être terrifié, mais il s’était plié aux suggestions du Corellien.
Yan espérait voir Kyp s’en sortir et mener enfin la vie normale qu’il méritait.
– Très bien, mais vous l’emmenez à vos risques et périls, dit enfin le gardien. Je ne serai pas responsable s’il détruit votre laboratoire et ruine le projet sur lequel vous travaillez !
Il fit signe à deux soldats d’amener le Wookie.
Chewbacca gronda. Il ne reconnut pas Yan ; il ne connaissait pas. Qwi Xux ; il les foudroya du regard, s’attendant à une nouvelle humiliation.
– Un peu plus de coopération ! s’écria le garde-chiourme.
Il fouetta Chewie, lui lacérant les épaules.
Le Wookie hurla, mais il se retint de rendre le coup. De toute manière, les Impériaux le tenaient en joue, pour le cas où il deviendrait violent.
Yan se raidit, serrant les poings autant que les gants de cuir le permettaient. Plus que tout, il aurait voulu enfoncer le manche du fouet électrique dans la gorge du gardien et l’allumer à pleine puissance.
Mais il resta au garde-à-vous.
Il ne fit rien.
Il ne dit rien.
Comme un bon soldat.
Le quatuor sortit.
Le gardien les ignora ; il retourna vers ses Wookies et se défoula sur eux.
Le Corellien sentit son estomac se nouer.
Chewbacca ne cessait de jeter des coups d’œil nerveux à gauche et à droite, comme s’il cherchait l’occasion de s’échapper. Yan espérait qu’ils trouveraient un endroit tranquille avant que le Wookie décide de les réduire en miettes.
Enfin, les portes d’une coursive se refermèrent derrière eux.
– Chewie ! s’exclama Solo, en ôtant son casque.
Après l’armure, la puanteur de la fourrure du Wookie lui parut presque divine.
Surpris, Chewbacca mugit, puis il serra son ami dans ses bras, le soulevant du sol.
Heureux pour une fois de porter un uniforme impérial, Solo lutta pour conserver son souffle.
– Pose-moi ! dit-il, essayant de ne pas rire. Si quelqu’un te voit, il croira que tu veux m’assassiner ! Il serait stupide de se faire tuer maintenant !
Chewbacca obéit.
– Prochaine phase ? demanda Solo à Qwi.
– Si vous savez piloter et quitter la Gueule, nous sommes sauvés.
Yan sourit :
– Est-ce là tout ce qui nous retient ? Considérez que nous sommes déjà libres ! Je peux piloter n’importe quoi.
– Dans ce cas, partons, rétorqua la scientifique. Nous perdons un temps précieux.
Quand ils embarquèrent dans la navette qui les conduirait vers le Complexe de la Gueule, Yan ne put poser aucune question. Entourés de nombreux Impériaux, ni lui ni Kyp ne pouvaient parler à Qwi.
Pendant le service, toute conversation semblait être interdite.
L’Omwati était nerveuse.
Elle ne cessait de regarder la barrière mortelle de la Gueule qui tournoyait au-dessus des astéroïdes.
Solo voulait revoir Leia et les jumeaux, qui hantaient de plus en plus ses pensées, le distrayant à des instants où il aurait dû se concentrer sur les périls qui le menaçaient.
Il désirait tenir Leia dans ses bras.
Mais porter un uniforme impérial en pensant à elle lui semblait corrompre ce désir.
Près de lui, apparemment impassible, Durron tournait constamment la tête vers Yan, en quête de réconfort.
Le Corellien eût aimé lui en offrir davantage… Mais il ignorait quel était le plan de Xux.
Pourquoi retourner sur le Complexe, plutôt que voler un navire ? Quel que soit l’endroit d’où ils partiraient, la partie serait rude. Rien n’était joué d’avance… Et les préparatifs de l’amirale Daala avançaient d’heure en heure.
Solo devait prévenir la Nouvelle République de la menace. Lors de son arrivée, il s’était inquiété de la concentration de puissance spatiale autour de Kessel. Mais la flotte de destroyers impériaux et les armes secrètes du Complexe de la Gueule dépassaient de cent fois les forces de Moruth Doole.
Avec sa combinaison de technicien, Chewbacca ressemblait à un ouvrier venu effectuer des réparations sur la station ou dans un laboratoire. Il émettait de temps en temps des grognements réjouis, tant il était heureux d’avoir retrouvé ses amis, mais Yan sentait qu’il avait hâte d’agir.
Les mains sur les genoux, Qwi demeurait insondable. L’ancien contrebandier se demanda s’il avait été trop loin en l’accusant de naïveté au sujet de ses travaux.
Il aurait voulu savoir ce qu’elle pensait.
Quand la navette atterrit sur la piste du Complexe et que les soldats eurent débarqué, Qwi conduisit Kyp, Yan et Chewbacca dans un tunnel assez large et haut pour permettre le passage de petits vaisseaux.
– Par ici, dit-elle.
Solo ne reconnut pas les lieux :
– Nous ne retournons pas à votre laboratoire, doc ?
La scientifique se tourna vers lui :
– Non, plus jamais…
Elle reprit son chemin.
Lorsqu’ils arrivèrent devant une double-porte de métal gardée par deux soldats, Qwi montra son badge.
– Ouvrez, ordonna-t-elle.
– Oui, docteur Xux. Donnez-moi votre badge, s’il vous plaît.
Elle lui tendit l’objet avec un sourire à peine contrôlé.
Solo commença à s’inquiéter. Ces gardes connaissaient Qwi ; elle paraissait plus à l’aise qu’auparavant.
Etait-ce une trahison ?
Mais dans quel but ?
Kyp et lui échangèrent un regard, mais les casques les empêchaient de communiquer vraiment.
– Le Wookie est ici pour effectuer des réglages sur les moteurs… avant le déploiement complet de la flotte, expliqua la scientifique. Ces deux gardes sont spécialement entraînés pour agir, au cas où il deviendrait violent. Le Wookie a déjà fait des dégâts. Nous sommes pressés.
Yan grimaça.
Qwi parlait trop vite, révélant sa nervosité.
– Donnez-moi votre autorisation, répondit le soldat. Vous connaissez la routine, depuis le temps.
Il glissa le badge dans le lecteur idoine, puis il le lui rendit.
Le soldat semblait plutôt heureux d’être en poste à cet endroit au lieu de participer aux préparatifs du départ.
Xux sortit la permission écrite de Daala.
Combien de fois lui demanderait-on encore ce papier ?
– C’est une demande d’ouvriers spécialisés, qui couvre le personnel wookie. Elle a l’aval de Daala et Tol Sivron.
Le garde haussa les épaules :
– Je vérifie l’immatriculation de vos deux soldats. Ensuite, vous pourrez entrer.
Il saisit les numéros d’identification de Yan et de Kyp, puis il ouvrit les portes.
Les quatre fuyards se retrouvèrent dans un immense hangar éclairé par des globes flottants. Une baie vitrée laissait filtrer les lumières des gaz ionisés de la Gueule.
Une fois les portes refermées, Qwi respira.
Solo découvrit un vaisseau comme il n’en avait jamais vu. Plus petit que le Faucon Millenium, il ressemblait à une écharde de cristal. Des lasers étincelaient sur chaque angle de ses facettes.
Le blindage multicolore et irisé rappelait une tache d’huile au soleil. A la pointe saillait un puissant lanceur de torpille à résonance.
En dépit de sa petite taille, le Broyeur de Soleil laissait deviner son incroyable potentiel.
– Nous allons voler ça ? s’étonna le Corellien.
– Bien sûr, répondit Qwi Xux. C’est l’arme la plus formidable jamais fabriquée et j’ai passé huit ans de ma vie à la concevoir. Vous ne pensiez pas que j’allais l’abandonner à l’amirale Daala, non ?